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20/02/2010

generic, flux: “Conversation entre Artavazd Pelechian et Jean-Luc Godard”


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en hommage à Chloe Dragna, “vidéothécaire en herbe”, correspondante generic @ Twitter

"Fin de l’entretien paru dans le journal Le Monde, Paris, le 2 avril 1992

Jean-Luc Godard :Comme je suis assez pessimiste, je vois la fin des choses plutôt que leur début. Pour moi, le cinéma est la dernière manifestation de l’art, qui est une idée occidentale. La grande peinture a disparu, le grand roman a disparu. Le cinéma était, oui, un langage d’avant Babel, que tout le monde comprenait sans avoir besoin de l’apprendre. Mozart plaisait aux princes, les paysans ne l’entendaient pas. Alors qu’un équivalent cinématographique de Mozart, Chaplin, a plu à tous le monde.
Les cinéastes ont cherché quel était le fondement de l’unicité du cinéma, une recherche qui est, elle aussi, une attitude très occidentale. Et c’est le montage. Ils en ont parlé beaucoup, surtout dans les époques de changement. Au vingtième siècle, le plus grand changement a été le passage de l’empire russe à l’URSS ; logiquement ce sont les Russes qui ont le plus progressé dans cette recherche, simplement parce que, avec la Révolution, la société était en train de faire du montage entre avant et après.

Artavazd Pelechian : Le cinéma s’appuie sur trois facteurs : l’espace, le temps, le mouvement réel. Ces trois éléments existent dans la nature, mais, parmi les arts, seul le cinéma les retrouve. Grâce à eux, il peut trouver le mouvement secret de la matière. Je suis convaincu que le cinéma est capable de parler à la fois les langues de la philosophie, de la science et de l’art. Peut-être est-ce cette unité que cherchaient les anciens.

Jean-Luc Godard : On retrouve la même chose en réfléchissant à l’histoire de l’idée de projection, comment elle est née et a évolué jusqu’à s’appliquer techniquement, dans les appareils de projection. Les Grecs en avaient imaginé le principe, la fameuse caverne de Platon. Cette idée occidentale, que ni les bouddhistes ni les Aztèques n’ont envisagée, a pris forme avec le christianisme, qui repose sur l’espoir de quelque chose de plus grand.
Ensuite vient la forme pratique, les mathématiciens qui, toujours en Occident, ont inventé la géométrie descriptive. Pascal y a beaucoup travaillé, avec encore une arrière pensée religieuse, mystique, en élaborant ses calculs sur les côniques. Le cône, c’est l’idée de projection.
Après, on trouve Jean Victor Poncelet, savant et officier de Napoléon. Il a été en prison en Russie, et c’est là qu’il a conçu son Traité des propriétés projectives des figures, qui est la base de la théorie moderne sur la question. Ce n’est pas par hasard s’il a fait cette découverte en prison. Il avait un mur en face de lui, et il faisait ce que font tous les prisonniers, il projetait. Un désir d’évasion. Comme il était mathématicien, il en a écrit la traduction en équations.
A la fin du dix-neuvième siècle est venue la réalisation technique. Un aspect des plus intéressants est qu’à ce moment le cinéma sonore était prêt. Edison est venu à Paris présenter un procédé qui utilisait un disque synchrone de la bande image, c’était déjà le principe de ce qu’on fait aujourd’hui dans certaines salles en couplant un disque compact avec le film pour avoir un son numérique. Et ça marchait ! Avec des imperfections, comme les images d’ailleurs, mais ça marchait et on aurait pu améliorer la technique. Mais les gens n’en ont pas voulu. Le public a voulu le cinéma muet, il a voulu voir.

Artavazd Pelechian : Lorsque le son est finalement arrivé, à la fin des années 20, les grands cinéastes comme Griffith, Chaplin ou Eisenstein en ont eu peur. Ils ont estimé que le son était un pas en arrière. Ils n’avaient pas tort, mais pour d’autres raisons que ce qu’ils ont cru : le son n’est pas venu gêner le montage, il est venu pour remplacer l’image.

Jean-Luc Godard : La technique du parlant est venue au moment de la montée du fascisme en Europe, qui est aussi l’époque de l’avènement du speaker. Hitler était un magnifique speaker, et aussi Mussolini, Churchill, de Gaulle, Staline. Le parlant a été le triomphe du scénario théâtral contre le langage tel que vous en avez parlé, celui d’avant la malédiction de Babel.

Artavazd Pelechian : Pour retrouver ce langage, j’utilise ce que j’appelle les images absentes. Je pense qu’on peut entendre les images et voir le son. Dans mes films, l’image se trouve du côté du son et le son du côté de l’image. Ces échanges donnent un autre résultat que le montage du temps du muet, ou plutôt du " non-parlant ".

Jean-Luc Godard : Aujourd’hui, l’image et le son sont de plus en plus séparés, on s’en rend encore mieux compte à la télévision. L’image d’un côté, le son de l’autre, et ils n’ont pas de rapport entre eux, pas de rapports sains et réels. Ils n’ont que les rapports de la politique. C’est pour ça que dans tous les pays du monde la télévision est entre les mains des politiques. Et maintenant, les politiques s’occupent de fabriquer un nouveau format d’image (la soi-disant haute définition), un format dont, pour l’instant, personne n’a besoin.
C’est la première fois que des instances politiques s’occupent de dire : vous verrez les images dans ce format-là, à travers cette fenêtre-là. Une image qui aura d’ailleurs la forme d’un soupirail, cette petite chose au ras des trottoirs . C’est aussi la forme d’un carnet de chèques.

Artavazd Pelechian : Je me demande ce que la télévision a apporté. Elle peut liquider la distance, mais seul le cinéma a la possibilité de se battre véritablement contre le temps, grâce au montage. Ce microbe qu’est le temps, le cinéma peut en venir à bout. Mais il était plus avancé sur cette voie avant le parlant. Sans doute parce que l’homme est plus grand que la langue, plus grand que ses mots. Je crois plus l’homme que son langage.

Entretien mis en forme par
Jean-Michel Frodon pour le journal Le Monde."

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Artavazd Pelechian , “The End”, 1991



"The filmmaker works with his images as if they were a musical score. Around a central theme, he orchestrates variations and modulations that create an impression of a flood of private images arriving from beyond the frame. Pelechian is making a name for himself as a montage filmmaker who tends to inscribe in his works the movement of the world and history. His films are odes, even symphonies that speak about humanity, nature and the cosmos. Man is often seen contending with a strong, encompassing nature that guides, transports and protects him. Pelechian speaks to us about humility and our connection with time. Artavazd Pelechian has been practicing a method of film construction he refers to as «distance montage» since the 60s, in films using either found footage, Our Century or original material, The Seasons. In the early 90s, Pelechian made two spiritual films which are among his simplest and most beautiful productions: The End (1991) and Life (1992), Pelechian's first colour film. In The End, Pelechian transforms footage from a train ride into a metaphor for the shape of a life. Early images of faces on the train give way to landscape, a journey through a black tunnel, and a final emergence into pure white light.”


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Jean-Luc Godard @ “Room 666”, 1982


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