"Joseph Kosuth : ni apparence ni illusion,
du 22-10-2009 au 02-06-2010
Des phrases en français écrites en néons blancs sont suspendues le long des remparts médiévaux. … Joseph Kosuth, artiste majeur de la scène contemporaine internationale, investit les espaces historiques du Louvre pour offrir au regard du visiteur une oeuvre dense et lumineuse.
Figure incontournable de la scène américaine, Joseph Kosuth est un pionnier de l’art conceptuel, mouvement créé en 1965 à New York qui donne la prévalence à l’idée au détriment de la matérialité. Il travaille depuis le début des années 70 sur les relations entre les mots et les choses, entre le langage et la représentation. Il écrit des phrases en néon, et réalise de monumentales installations de textes, critiques, philosophiques ou littéraires, sur les monuments anciens. Ainsi Joseph Kosuth est intervenu notamment sur l’île San Lazzaro lors de la Biennale de Venise en 2007, ou encore à La Casa Encendida à Madrid en 2008.
L’artiste a cette fois choisi de travailler dans les fossés du Louvre médiéval et d’écrire sur les vieux murs des remparts, incitant le spectateur à redécouvrir ce lieu mystérieux et souterrain.
"ni apparence ni illusion" est une citation de Nietzsche. Les quinze phrases, réparties de façon minimale sur le parcours, proposent une quête à la fois physique et introspective. Elles évoquent les relations
complexes entre l’histoire, l’archéologie et la sensibilité du spectateur.
L’artiste, qui d’ordinaire recourt à la citation, a pour la première fois de sa carrière, choisi de rédiger le texte de cette exposition.
" Quinze pierres en place, toutes sorties de l’ombre, ces mots lumineux rendent visibles celui qui voit mais aussi celui qui est vu. Les pierres et les mots s’assemblent pour produire à la fois un mur et un texte".
22 octobre 2009-Juin 2010. Aile Sully, Louvre médiéval"
source (y compris illustration en début de post)
&
"Je me tiens devant un mur de pierre du XIIe siècle, le mur de fondation du premier palais du Louvre. Je commence avec le matériau de construction cher à Nietzsche." Joseph Kosuth
L'exposition "ni apparence ni illusion" de Joseph Kosuth est un parcours initiatique, poétique et philosophique dans les fossés du Louvre médiéval. On circule en se laissant guider par les phrases qui nous incitent à réfléchir sur la mémoire, le passé, l'empreinte de l'histoire. Les typographies italiques écrites en néons blancs apparaissent comme des messages subliminaux et apportent une dimension nouvelle au lieu, aux murs.
Joseph Kosuth, à travers cette très belle exposition, nous permet d'appréhender différement une partie du Louvre peu connue, et d'apprécier l'art conceptuel."
&
"Joseph Kosuth, Art As Idea As Idea (Specific)
blow up, 115 x 115 cm, 1967
Dans "L'art après la philosophie" ("Art after philosophy", I et II, Studio International, octobre et novembre 1969, traduit dans artpress n°1 décembre-janvier 1973), Kosuth dit : Il est nécessaire de séparer l'esthétique de l'art parce que l'esthétique concerne des jugements sur la perception du monde en général. Autrefois, l'un des deux pôles de la fonction artistique était sa valeur décoratrice. La tranche de la philosophie qui traitait du "beau", et donc du goût, se trouvait inévitablement dans l'obligation de discuter aussi de l'art. De cette "habitude" naquit l'idée qu'il y avait un rapport conceptuel entre l'art et l'esthétique, ce qui est faux. Jusqu'à ces derniers temps, cette idée n'était jamais directement entrée en conflit avec les considérations artistiques, non seulement parce que les caractéristiques formelles de l'art perpétuaient cette erreur, mais aussi parce que les autres "fonctions" apparentes de l'art (peinture de thèmes religieux, portraits d'aristocrates, éléments d'architecture, etc.) usaient de l'art pour dissimuler l'art.
Kosuth constate ainsi que la peinture est condamnée parce qu'elle est figée dans des considérations esthétiques (de couleurs et de formes) tout à fait étrangère à la définition de l'art qui est du domaine des idées. La fonction de l'art ne devant être qu'artistique, il développe sa réflexion auprès d'un art qui devient son propre objet de démonstration et considère sa pratique comme moyen de redéfinition continuelle de l'art par lui-même : ses propositions expriment et définissent l'art-même - ou les conséquences formelles découlant de sa définition - "art as idea as idea" (en référence à la formule de Ad Reinhardt : "l'art-en-tant-qu'art...").
Plus loin il précise que les oeuvres sont des propositions analytiques qui n'ont pas valeur d'information en dehors du contexte art : "Les oeuvres d'art sont des propositions analytiques. C'est à dire que, si on les considère dans leur contexte - en tant qu'art - elles n'apportent aucune information sur des questions de faits. Une oeuvre d'art est une tautologie, en ce sens que c'est une présentation de l'artiste, autrement dit que celui-ci déclare que cette oeuvre d'art-ci est de l'art, c'est à dire une définition de l'art".
Avec Kosuth l'art est ainsi une énonciation dont le prédicat ne dit rien de plus que le sujet et qui reste vraie en vertu de sa forme seule, quelque soit la valeur de vérité des énoncés qui la composent. Il entend par là qu'une proposition artistique (terme qu'il préfère au mot oeuvre) serait une vérification de l'art par lui-même, notion très proche de son maître à penser : Ludwig Wittgenstein pour qui "le tableau peut représenter chaque réalité dont il a la forme" et "le seul langage pourvu de sens est celui dont la forme logique reflète la structure des faits".
Bien que le "blow up" (l'agrandissement photographique d'une définition de dictionnaire) soit très proche du tableau, le spectateur qui y est confronté est privé de toute représentation iconographique; de même les termes qui lui sont proposés ne suscitent chez lui aucune interprétation touchant à des objets finis. Aucun autre sens ne pouvant lui être attribué que la définition exposée, il est invité à rester au plus près de la réalité de ce qui est proposé et à analyser ce qui relient ou séparent la réalité et son concept c'est à dire qu'il est confronté aux rapports qui lient l'idée qui définit cette réalité, au langage qui véhicule son concept.
Avec ces propositions nous avons affaire à un art dont la validité dépend seulement des définitions qu'il contient, Kosuth se défend d'intervenir en tant que sujet dans la communication qu'il a avec le spectateur et refoule toute subjectivité pour instaurer l'idée de la neutralité - de l'objectivité - de la dépersonnalisation. Il enlève ainsi, à l'objet artistique toute connotation qui aurait pu renvoyer à l'histoire du sujet artiste ou à une quelconque autre histoire; il cherche à démontrer que la fonction inhérente à l'art est de rester essentiellement pertinent par rapport à lui-même.
Les définitions de dictionnaire de Kosuth traitent d'abord de l'abstraction d'une chose concrète : "Water" (1966) puis de l'abstraction d'une abstraction: "specific" (1967) ou d'une abstraction d'abstraction qui renvoie au vocabulaire artistique ou philosophique : "phenomenon" (1967).
L'oeuvre "Specific", à travers ce qu'elle définit, me semble illustrer parfaitement les propos de l'art conceptuel. ("Specific" révèle en particulier le lien existant entre l'art conceptuel et l'art minimal à travers le "Specific object" de Judd - dont Kosuth dit qu'il l'a beaucoup influencé)."
&
Joseph Kosuth @ Sean Kelly, New York (Sept 2006)
voir aussi (mise à jour du 31.10.09)
Il faut s’enfoncer sous terre, aller sous le musée du Louvre, dans ce qui fut l’enceinte du château royal. Les pierres claires des vieilles murailles sont ornées, le long d’un parcours sinueux, de phrases écrites au néon; les lettres, les mots se dévoilent peu à peu au cours de la déambulation, on construit la phrase mot à mot, puis on s’arrête pour la lire dans son entièreté. ‘Le mur est la surface de sa propre histoire enfouie.’
Joseph Kosuth a jalonné ce parcours (jusqu’au 21 juin) de quinze phrases qui parlent d’histoire et d’archéologie, d’apparence et d’illusion. ‘Les pierres et les mots s’assemblent pour produire à la fois un mur et un texte.’ C’est un parcours initiatique, celui des maçons médiévaux, des bâtisseurs de cathédrale, des disciples d’Hiram, des enfants de la veuve, une quête de savoir au fond de nous. ‘Les pierres du mur sont signées, et pourtant chacune reste anonyme.’
Une des phrases s’interrompt soudain, elle reste en suspens ‘Une première réflexion, puis un’, on a le souffle coupé avant d’en retrouver la suite au fond du puits : ‘détail se dilate’.
Photos de l’auteur. Kosuth étant représenté par l’ADAGP, les photos seront retirées du blog à la fin de l’exposition.
par Lunettes Rouges: http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2009/10/29/dans-les-douves-du-louvre/