clin d'oeil au post précédent & à l'occasion d'un déplacement generic à Belfast, vers des rencontres avec Daniel Jewesbury et Larry Cowan, dans la perspective de la saison e.space generic 2009-10.
voir vidéo en fin de post.
&
"Mon traître de Sorj Chalandon : un roman pour faire la paix
Par Hubert Artus, Rue89, 08/01/2008, 14H15
Il y a vingt ans, ses reportages sur l'Irlande du Nord et sur le procès Barbie avait valu le prix Albert-Londres à Sorj Chalandon. En cette rentrée, l'ancien grand reporter à Libération publie » Mon traître » , un livre qui juxtapose trente ans d'histoire irlandaise, culpabilité et intimisme. Où quand un journaliste tente de trouver la langue qui met le monde en fiction. Donc, en question.
Dans » Le petit Bonzi » , premier roman de l'auteur paru en 2005, nous avions été prévenus. Le suivant, » Une promesse » (prix Médicis 2006), s'était un peu écarté du chemin. Voici donc la piqûre de rappel : le journaliste Sorj Chalandon écrit des histoires vraies légèrement teintés de fiction, donnant ainsi toute sa puissance d'incarnation à l'écriture.
Dans » Mon traître » , pour la première fois, il met sa voix au niveau d'un fait politique et collectif. Ce que nous lirons ici, c'est trente ans d'histoire de l'empire britannique, à travers l'IRA et la lutte armée en Irlande du Nord.
Le roman
Celui qui raconte cette tranche d'Histoire est un jeune parisien, Antoine. Qui rencontre l'Irlande du Nord en 1974 par un ami amoureux de ce pays. Le genre d'ami pour qui, si » vous ne connaissez pas le Nord, alors, vous ne connaissez pas l'Irlande » . L'ami en question est » un brave jeune homme, et un mauvais violoniste » .
Antoine est luthier. Pour lui qui connaît un peu le pays, l'Irlande, c'est John Ford, » Le taxi mauve » , » les pulls blancs torsadés, le whiskey, l'Eire de nos mots croisés » . Mais ce qu'il va voir » du Nord » est différent. Très tôt, il rencontre des militants de l'IRA, et se sent proche de la lutte. Quand, trois ans après son premier séjour, il rencontre » un vétéran » .
» La première fois que j'ai vu mon traître, il m'a appris à pisser » est la phrase qui nous plonge dans le livre. Le traître, c'est Tyrone Meehan, figure charismatique de la lutte. Qui est alors un leader de l'IRA et du Sinn Féin. Le coup de foudre pour l'homme renforce celui qu'Antoine éprouve déjà pour le pays et la lutte. En quelques années, de rencontres de militants en bières partagées, de livres lus en accolades fraternelles, Antoine s'identifie à la lutte et est fasciné par les leaders. Dont, surtout, Meehan.
Pour ceux qui luttent pour l'indépendance de leurs pays, Antoine le Français devient un frère. » J'étais différent. J'étais quelqu'un en plus. J'avais un autre monde, une autre vie, d'autres espoirs. J'avais un goût de briques, un goût de guerre, un goût de tristesse et de colère aussi. J'ai quitté les musiques inutiles pour ne plus jouer que celles de mon nouveau pays. »
En quelques années, notre homme enchaîne les allers-retours Paris-Belfast. Et les aides conséquentes au mouvement. Jusqu'à vouloir y entrer : » J'étais entré dans la beauté terrible et c'était sans retour. »
C'est alors qu'apparaissent des chapitres retranscrivant des interrogatoires de Tyrone Meehan par l'IRA, en 2006. Car voilà : au sortir de sa dernière peine de prison, Meehan a été » retourné » par l'armée britannique et le MI5, les services secrets anglais, à qui il livre des informations. Qui, plus tard, l'ont donc lâché. Meehan est un traître.
Poursuivant le cheminement de l'amour pour la lutte et l'Irlande du Nord, le roman a pratiqué l'incise qui lui donne son mystère. La suite n'en aura que plus d'émotion.
La réalité
Le lecteur peu au fait de la question avait compris l'entreprise du livre dès le début. Celui qui connaît la question savait depuis le début. Mais tout le talent de Chalandon est de ne pas donner de longueur d'avance au second. Tous les lecteurs resteront surpris tout le livre durant : que révélera Chalandon ? Que dissimulera-t-il ?
Evidemment, Antoine, c'est Sorj Chalandon. Evidemment, Tyrone Meehan, c'est Denis Donaldson, leader dont on appris la trahison en 2005 qu'il avait vingt ans durant été une taupe pour le compte des Britanniques.
Donaldson fut assassiné en 2006 sans que personne ne revendique ni ne soit inquiété. Ainsi, sans possibilité de lui demander des explication, le journaliste Chalandon, qui avait déjà commencé l'écriture du livre lors de l'annonce de l'assassinat, semble avoir ressenti plus encore l'urgence d'un double questionnement. Sur l'engagement de Donaldson transformé en trahison, et sur son propre engagement aux côté de l'IRA.
Il fallait alors une légère distance. Chalandon a trafiqué un peu les dates. Et donné des noms différents aux protagonistes.
De miroir, l'écriture devenait aussi interface. Plus encore que raconter l'IRA entre 1974 et la mort de la balance, c'est dans cette auto-interrogation que réside l'intérêt de » Mon traître » . Journaliste, Chalandon décrit, imagine, restitue, s'interroge. Son but est de continuer à aimer. De trouver la juste mesure du pire.
A l'instar de beaucoup de journalistes, Chalandon se travestit légèrement sans pour autant mettre de masque. Certes, l'entreprise aurait encore gagné en épaisseur littéraire si le » je » d'Antoine avait osé exhumer plus encore ses propres faiblesses, établissant un pont entre elles et ceux de son » traître » . Mais, dans cette façon de donner vie au pire, il ne fait rien d'autre que de donner corps à l'écriture. Avec cœur, chagrin et chaleur.
» Mon traître » poursuit le travail de Chalandon sur le roman d'apprentissage qui caractérisait son travail, en y ajoutant une dimension politique. Mais surtout, et c'est la nouveauté, il témoigne d'une confiance et d'une envie en l'écriture qui sont une preuve qu'en lui un romancier vit. Chalandon a clairement fait un pacte avec l'écriture littéraire, et c'est une bonne nouvelle pour le journaliste qu'il est.
Somme toute, comme les écrivains voyageurs, Sorj Chalandon est un type qui transite par la fiction.
Mon traître, de Sorj Chalandon, Grasset, 278 p., 17.90 €"
& version lue, gratitudes a Réjane & Dominique L.:
encore un cas de couverture "téléphonée"...
& comme promis:
Titanic à Belfast, 1912, en voie de livraison.